Etapes 52 & 53: Cap ou … Cap!

Si on m’avait dit il y a quelques années qu’un jour je ferai le résumé d’une journée de vélo de 91km entre Russenes et Honningsvåg, j’aurai vraiment eu du mal à le croire… et ajouter que celle-ci serait une des dernières d’un périple de 2 mois, m’aurait sûrement beaucoup fait rire !Et pourtant nous l’avons fait sans coup férir 😉

Ce vendredi 5 août à 8h était, comme la veille, extrêmement humide. Avec environ 7 degrés dehors, dès que nous avons mis le nez à l’extérieur l’envie de pédaler est immédiatement partie.
Pourtant vers 10h nous avons quitté cette petite ville que seuls une station service et un camping avec boutique souvenir animaient en direction du Nord. La route que nous allions prendre longe presque tout le temps la côte est de la presque île sur laquelle nous nous situons. En bout de course elle aboutit sur un tunnel qui passe sur l’île du Cap Nord : Magerøya. Honningsvåg est la seule « ville » sur l’île et elle est à 30km du Cap (environ 2500 habitants). Nous avons décidé d’y passer notre dernière nuit, pour garder le meilleur pour une ultime étape.

Nous sommes donc sur les premiers kilomètres de cette fameuse route côtière. Le temps est loin du beau fixe mais aucune goutte ne se manifeste et les quelques rayons de soleil qui apparaissent produisent de belles trainées de lumière à notre droite sur l’eau turquoise de l’océan arctique.

A notre gauche nous sommes cernés par de grandes falaises laissant parfois la place, au fond des baies, à des étendues au relief plus doux et au décor verdoyant. Nous croisons de plus en plus de troupeaux de rennes. De la même manière que leurs copains finlandais, ils gèrent bien les voitures mais détalent dès qu’ils voient un vélo.

Comme hier, même si la météo se déchaine nous ressentons notre chance de pouvoir pédaler au milieu de ce paysage de rêve. Nous traversons alors notre premier tunnel. Ici il faut souvent en emprunter car passer un massif se révèlerait très long. 4km à jouer les spéléologues et nous retrouvons la lumière du jour, sain et sauf, les camions et les bus, qui roulent encore plus vite que les voitures, nous ont épargné !

Quelques instants plus tard, les éléments ont commencé à vouloir associer à tout cela une ambiance de grand nord. Un vent venant de l’ouest entre 20 et 30km/h nous accompagnera jusqu’au bout. Par moment donc il nous pousse et nous permet d’accélérer, mais, de face, nous fait perdre 10km/h. Le pire étant de profil. Nous sommes obligés de tirer des bords à la façon d’un voilier au milieu de l’océan. Ceci s’est d’ailleurs révélé souvent dangereux, et les rafales qui auraient pu nous mettre par terre n’ont pas manqué à l’appel… Un temps parfait pour pédaler !…


Mais j’avais presque oublié : la pluie aussi nous a souhaité la bienvenue. L’accumulation avec le froid et le vent donnait réellement l’impression de revivre une journée de ski bien fraiche et humide. Pour résumer : une journée de galère ! Je ne sais même pas pourquoi on en garde un bon souvenir 🙂


Après un nouveau déjeuner dans la voiture et 70km depuis le départ, nous avons atteint le tunnel menant à Magerøya. Ce dernier fait 6,5km et n’est vraiment pas large. Il descend à 212m en dessous du niveau de la mer et remonte avec des inclinaisons entre 8 et 12% continues jusqu’à la sortie. Un passage qui vaut bien un bout de Mont Ventoux. Sachant cela avant d’arriver nous avons profité de la voiture pour le passer en toute sécurité. A sa sortie ce sont 20km qui nous séparaient encore du camping. Exactement ce qui était nécessaire pour drainer nos dernière forces.


En insistant longuement sous une douche bien chaude nous parviendrons à nous réchauffer. Il est alors l’heure de prendre la voiture pour voir de plus prêt Honningsvåg et ses environs. Cette petite ville représente, au premier abord, tout ce que nous imaginons trouver au fin fond de la Russie : de petites maisons sobres, des baraquements de bétons, des usines à l’entrée accompagnées de cuves de pétroles… Je vous fais rêver ?
Ne vous inquiétez pas, il y a également de très belles choses dans le cœur de ce village.En effet en poussant un peu plus loin nous tomberons sur une rue commerçante et découvrirons des bâtisses beaucoup plus colorées. Les gens se promènent dans les rues et même si tout est minuscule, on sent qu’il y a de la vie sur l’île du Cap.
La route qui sort d’Honningsvåg mène à un cul de sac et surtout au bourg de Nordvågen : une perle ! Celui-ci est au fond d’une baie entourée de massifs aux pentes extrêmement raides. En cette saison le fond vert fait ressortir les maisons étincelantes. Les rennes y ont établi refuge et se promènent tranquillement dans les rues.


Les habitants vivent surtout des produits de la mer mais ils ont agrémenté leur quotidien en installant une remontée mécanique. Si vous venez ici en hiver vous pourrez skier sur la station la plus au nord de notre continent (peut être même du monde ?).

Notre dernière soirée avant le cap sera accompagnée d’un bel apéritif au houblon et de pâtes carbonara. On ne va pas changer le régime qui nous a menés aussi loin, ce ne serait pas sérieux 😉

La route c’est par .

Ca y est le jour J est arrivé. Nous sommes le 6 août 2011 et cela fait exactement 62 jours que nous avons quitté Marseille et ses calanques.

La nuit a été fraiche dans ce camping du cap mais nous étions heureusement bien emmitouflés dans un bungalow spacieux. Premier réveil, 4 h du matin. C’est toujours sympa d’aller aux toilettes en regardant un troupeau de rennes se balader au milieu du camping. De plus le ciel est presque dégagé et le vent est faible, bon signe pour rejoindre le cap en toute sérénité. Mais il ne faut pas être si pressé, retour au lit pour quelques heures de sommeil avant le grand final.

8 h, il est temps de se préparer; nous prenons un petit déjeuner de champion. Le temps est beaucoup moins évocateur que quelques heures plus tôt. Ce n’est pas grave, avec une motivation à toute épreuve nous nous habillons comme des alpinistes prêts à dompter le K2. (Non je n’exagère pas. Il faut bien rajouter un petit côté sudiste à l’article 😉 ).
26 kilomètres nous séparent du globe et ceux-là ne sont pas cadeaux. Nous entamons notre route par une côte de 8-9% de moyenne parfaite pour se réchauffer quand il fait 5 degrés dehors.

Le vent et la pluie commencent alors à nous fouetter le visage à la manière d’un bon blizzard. On ne peut pas dire que cela ne nous met pas dans une ambiance polaire. Les kilomètres s’enchainent difficilement et nous nous arrachons pour garder une allure convenable sur cette route très accidentée.

Nicolas et Isabelle nous soutiennent depuis la voiture et nous pensons à vous tous, amis lecteurs, pour clôturer ce périple vaillamment. Sur la route, un camping-car nous filme en plein effort tandis qu’une moto nous double en nous applaudissant. Ça fait un plaisir fou, permet de laisser le vent et la pluie de côté et on commence à se rendre compte du chemin parcouru.

Le paysage est celui d’un bout du monde comme on se l’imagine. La roche grise sous le brouillard est à peine contrastée par le vert des herbes rases. Magerøya semble vraiment hostile à la vie. Cela donne pourtant un charme particulier à l’endroit qui le rend effrayant et grandiose.

Soudain au sommet d’une colline, nous devinons une boule, le cap est bien là. Mais à la manière du Ventoux, il se mérite et les côtes n’en finissent plus. Plus que 20km… Puis 15… 10…

Dopés par l’euphorie (et par tous les produits que nous prenons depuis 2 mois) nous parvenons au panneau indiquant 500m jusqu’au « Nordkapp ».

On l’a fait!
4800km, 8 pays traversés, 53 jours sur le vélo, 65 litres de bière, 20 jours de pluie, zéro coup de soleil, 2 océans reliés, 15 crevaisons, 2 roues à la décharge, 30kgs de viande, 1 223 456 sapins…

Nicolas et Isabelle déploient alors une magnifique banderole pour nous féliciter.

Nous remercions d’ailleurs chaleureusement le père de Nicolas pour son travail!

Nous arrivons épuisés mais heureux! Extrêmement heureux…

Cette dernière étape nous a plié avec ses 750 m de dénivelé positif. Nous avons mis une heure et demie pour parcourir 26 kms, notre moyenne la plus faible du voyage 🙂
Il fallait bien faire durer le plaisir. Nous entrons le sourire aux lèvres dans l’enceinte du musée en direction du fameux globe pour y poser en vainqueurs. La vue est bouchée par les nuages et le froid saisissant mais cela ne nous empêche pas d’exprimer notre satisfaction.

C’est amusant comme on a du mal à réaliser ce qu’on a parcouru et à se rendre compte que cette dernière bosse représente la fin du voyage. Depuis quelques temps beaucoup de gens nous demandent ce que ça fait d’avoir depuis Marseille rejoint Hamburg, Göteborg ou même l’océan arctique… Pour nous ceci se faisait avec une joie certaine mais avec toujours la conscience que rien n’est fait, que nous sommes encore loin d’avoir accompli notre challenge. Trop se projeter dans l’avenir fait miroiter un périple beaucoup trop long, trop regarder derrière soit ne permet pas de profiter de ce que l’on voit. Il faut savoir vivre ce type d’expédition au jour le jour. S’imprégner de chaque endroit sereinement et laisser à chaque jour sa peine et son lot de plaisirs. Alors, à ce point là nous commencions à voir que chaque moment de difficulté depuis 2 mois a été surmonté pour cet instant…

Beaucoup de touristes nous regardent d’un air ahuri, certains nous félicitent, d’autres nous prennent en photo… Qu’est ce que font deux jeunes français en cycliste au Cap Nord ?
Lorsque nous sortons notre banderole, nous n’entendons que des félicitations… Ca réchauffe 😉

Nous retournons tout de même bien vite au chaud pour prendre un bon café. Puis direction le musée où l’on nous présente l’histoire du cap nord. Nous visionnons un magnifique film sur l’endroit qui nous permettra d’admirer la beauté du lieu. Avec le temps que nous avions il était seulement possible de l’imaginer.

Vers 14h nous nous engageons sur le chemin du retour bien au chaud dans la voiture. Nous regardons les paysages défiler à une allure folle.

On repense alors à notre périple qui demeurera une expérience extraordinaire. Périple qui s’est fait à la force des cuisses et du mental mais également grâce à vous tous qui nous avez soutenu au cours de ces deux mois. Un grand MERCI!

Dans la soirée nous dormirons entre Alta et Tromsø avec une vue magique sur un fjord. C’est ici que nous sabrerons la bouteille de champagne de la réussite.

Nous réalisons doucement ce que nous avons fait pendant 2 mois, difficile pour nous d’avoir du recul, nous attendrons quelques jours et le retour à la vie normale.

Les mollets rangés au placard pour un petit bout de temps nous nous endormons en pensant déjà à de prochaines aventures. Pas tout de suite quand même 🙂

Dernière fois que vous cliquerez ici vous aussi 🙂

A l’heure où vous lirez ces quelques lignes nous seront sûrement en France… avec les amis…. la famille… et bientôt dans un bon lit, dans une chambre hors d’air et hors d’eau: belle perspective !

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15 commentaires pour Etapes 52 & 53: Cap ou … Cap!

  1. Baptiste dit :

    Félicitations les gros …bon j’avoue j’ai vécu par procuration et c’était pas plus mal pour mes cuisses 😀 !

  2. ANNE MARIE dit :

    Le dernier commentaire…C’est votre plus bel article !!!
    Beaucoup d’émotion. Je parie qu’Isa y a été de sa petite larme…Entre nous, je n’en suis pas passé loin non plus. A cette heure-ci vous volez sur Paris, j’aurai tant aimé vous y accueillir….
    La prochaine fois!!!

  3. ANNE MARIE dit :

    Autre chose rien que pour Arnaud: il me semble sur les photos que tes cuisses ressemblent maintenant à celles de Julien….Alors, heureux ?

  4. Eric dit :

    Absolues félicitations!!
    Vous avez démontré au cours de ce long et difficile périple une quantité de qualités qui font de vous des hommes, des vrais ,comme on n’en rencontre pas tous les jours au coin dela rue.
    Je cite, peut-etre dans le désordre : le courage physique et moral, la persévérance et l’opiniatreté,la volonté sans faille, le sens de la préparation et celui de l’effort, l’ouverture d’esprit et l’ouverture aux autres, le sens des rencontres, l’art de rebondir après les difficultés, le sens de l’amitié véritable, l’honnètetée intellectuelle et bien sur l’humour!
    Je suis immensément fier d’ètre le père de l’un de vous deux, et félicite les parents de l’autre pour leur fils: qu’est-ce qu’ils sont bien nos petits!!
    Bravo Julien, bravo Arnaud !!

    • Georges et Madeleine dit :

      Au delà de cette pertinente analyse de nos deux cyclistes ,c’est la complémentarité de ces hommes dans ce long et pénible parcours qui force notre admiration. Un très gros bravo à Arnaud et à Julien de la part de Madeleine et Georges, les grands parents du petit Julien ! …

    • Stanislas P. dit :

      Je partage à 100% et sans aucune retenue votre immense fierté vis à vis de nos deux héros dont vous avez si bien décrit les qualités. J’ajouterais simplement qu’ils ont l’art de bien choisir leurs amis. Ils n’ont pas fini de nous étonner nos petits qui sont devenus Grands au cours de cette belle aventure !! Le père de Julien

  5. Georges et Madeleine dit :

    Difficile de commenter ce mail..qui contient des photos derrière lesquelles se cachent des noms, et l’exemple reçu tel un sacré carburant ! Une sorte d’osmose semble avoir opéré en vous, qui avez gouté la richesse du temps présent indépendamment des événements, qu’ils soient bons ou mauvais. Ce  » détachement  » du monde me semble atteindre une vraie sagesse; puisse-t-elle se laisser partager avec les jeunes du CMI de Romagnat, eux qui connaissent bien des obstacles dans leur vie quotidienne. Savourez cette belle victoire.

  6. Jacques et Danielle dit :

    C’est avec beaucoup d’émotions que nous vivons la fin de cette splendide aventure que nous osons dire : « déjà terminée »…
    Vous êtes « troll’ ment gonflés », à peine arrivés vous pensez à une future aventure de glob-trotter.
    Mille fois mercis de nous avoir faire vivre cette formidable expédition.
    Vous allez nous manquer…

  7. Margarethe dit :

    Chapeau !! C’est tout ce qui me rest à dire !

  8. Stanislas P. dit :

    SO PROUD OF YOU BOYS, YEAH !!!

  9. Valérie P dit :

    C’est difficile d’ajouter quelque chose à tout ce qui vient d’être dit sur vous deux, au risque que vos chevilles atteignent le volume de vos cuisses ….Vous nous avez fait rêver, haleter, trembler … Et même, oui je l’avoue, chialer d’emotion sur la dernière ligne droite !!! Vous nous avez rendus accros, passionnés, admiratifs et on ne vous regardera plus jamais comme avant ….En bref, vous avez été absolument magnifiques !!!! Bravo à Isa pour ses photos où on vous voit tous les deux en plein effort, ce qui nous permet vraiment de mesurer le niveau du défi …..Quand à l’idée et à la réalisation de la banderole : c’est la cerise sur le gâteau … Final grandiose !!!!! Encore BRAVO à vous deux !!

  10. Françoise dit :

    Juste un mot BRAVO !!

    Le récit quasi journalier de votre périple va nous manquer.
    Reposez-vous bien ..

  11. Willish dit :

    Un grand bravo, j’ai suivi votre périple pas à pas sans en rater une seule goute, même si je sais qu’elles ont été nombreuses au dessus de vos têtes. Une épopée qui donne beaucoup d’idées de projets, un exemple de dépassement de soi ! Réjouissant !!

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